THERAPIES AVEC LES FAMILLES

&


THERAPIES FAMILIALES
 


 

un site proposé par Jean François Le Goff

 

 
 J'ai écrit une série de nouvelles intitulée : "Un épatant petit systèmes". Aucune revue de thérapie familiale n'a voulu en publier.
 
 
Le Couteau Suisse pour thérapeutes familiaux
Un conte systémique
 
 
 
 
 
Toc, toc toc…
— Qui est là ?
— Pas d’inquiétude Monsieur le coutelier, je m’appelle D. I Gital, je suis un thérapeute familial et je viens…
— Entrez, entrez ! Vous êtes le bienvenu et que puis-je faire pour vous ?
— Et bien voilà ! J’ai appris que vous vendez des couteaux suisses pour les thérapeutes familiaux.
— Ah ! Les fameux couteaux suisses pour thérapeutes familiaux ! C’est vrai ! Nous en avons l’exclusivité pour l’Europe, l’Afrique et l’Asie. C’est un article très spécialisé, mais qui est hautement intéressant… (en aparté) Qui est donc cette femme qui vous accompagne et qui reste un peu en retrait ? Votre femme ? Votre amie ? Une passante ? Une mère de famille monoparentale ?
— Non, non, pas du tout, c’est tout simplement ma cothérapeute, Anna Loji…
— Félicitations, monsieur le thérapeute. Vous avez fait un choix excellent. Mais vous aves compris que dans mon commerce — je ne vends pas des livres ou des pommes de terre — je dois faire très, très attention à qui pénètre dans mon magasin. On ne sait jamais…Les jeunes de banlieue n’oublient jamais de roder aux alentours.
— Je vous comprends, monsieur le coutelier.
— Je vais donc vous montrer ces petites merveilles. Tout cela est bien entendu strictement confidentiel. Il y a bien sur plusieurs modèles et les prix varient selon le nombre de lames, mais je peux vraiment vous assurer que le premier modèle est déjà un instrument complet et vraiment intéressant et attractif. Vous verrez, je vous offrirai une petite démonstration tout à l’heure…
— Mais, nous n’avons pas amené de famille…
— Taratata… Chose promise, chose due ! Passons à la présentation. Voila le premier modèle : Le couteau suisse à huit lames. Bien sûr il y a un modèle à deux lames, une grande et une petite, mais c’est bon pour les psychanalystes : une lame pour étaler les rillettes ou le chocolat sur la tranche de pain pendant que le client cause, cause… et une lame pour l’intimider si l’idée de diminuer les honoraires lui venait au travers des aléas du transfert. Mais comme vous vous en doutez : Deux lames, c’est terriblement linéaire ! Cependant il y a quelques progrès, même dans ce domaine !
— Mais lesquels ?
— L’intégration au couteau d’une superbe montre chronomètre ! Vous pouvez programmer la durée de la séance : une heure, trois quart d’heure, une demi heure. Une sonnerie ou une vibration discrète vous avertira. C’est fabuleux ! Vous pouvez aussi choisir la fonction « fin aléatoire » et le signal vous avertira de manière inattendue dix minutes, quinze minutes, voire moins après le début de manière à scander la fin de la séance au moment opportun. Bien entendu, j’ai intégré cette montre sur les couteaux les  plus sophistiqués
— Absolument, réponds le thérapeute qui lève les yeux et remarque la pancarte suivante derrière le guichet.
 
Méfiez-vous des contrefaçons et exigez
le vrai couteau suisse
pour thérapeutes familiaux !
 
— Vous avez raison de regardez ma pancarte car il y a actuellement en circulation des faux couteaux suisses, made in china, of course ! Je vous donnerai les éléments pour les reconnaître à vue d’œil. Et, surtout, si vous voyez l’un de vos collègues avec une contrefaçon, dites lui tout de suite de faire bien attention et, surtout, allez vous réfugier derrière la glace sans train car gare à vous s’il tente d’ouvrir une lame. Les dégâts peuvent être plus important qu’on l’imagine. Car le couteau suisse n’est pas un outil anodin et c’est d’ailleurs cela qui fait son intérêt. Alors un faux couteau suisse, un couteau qui n’a pas le label de l’A.A.A.A.A, de l’Association Autonome des Administrateurs d’Analogies Anachroniques, c’est le drame, c’est la tragédie…
— Je vous remercie de me prévenir. Mais ne pensez vous pas, cher monsieur le coutellier , qu’il y a quelques différences entre un drame et une tragédie ?
— Sans problème, puisque vous le dites, mais il parait qu’il y a des tragédies dramatiques et des drames tragiques. Bien sûr je ne suis pas un spécialiste de ce sujet. Mais le couteau suisse…
— Je vous remercie de toute votre attention…
— C’est tout à fait normal ! Un couteau suisse, un vrai, c’est extrêmement pratique. Voyez vos vieux collègues qui se contentent d’une lourde boite à outils et qui sont obligés de la porter de séance et séance, qui oublient de ranger les outils, qui passent tout le temps de la séance le nez dans la boite pour retrouver l’outil intéressant et, le pire, une fois trouvé celui-ci n’est plus adéquat à la situation qui évolue sans cesse… alors il faut encore chercher, toujours chercher… Supposons que vous preniez une reformulation de calibre « HT » alors qu’il faudrait un restructurateur de frontière de type « GPPM ». Vous voyez les dégâts que cela pourrait produire !
— Le moins qu’on puisse dire !
— Et puis, si en séance vous « tombez », excusez moi du mot, sur un enfant agité, un enfant hyperkinétique, ou plutôt un enfant ADHD, Attention deficit hyperkinetic disorders, comme on dit maintenant, qui renverse la boite et qui s’empare d’un recadrage ou d’une connotation positive. Et bien, à ce moment précis vous n’avez plus aucune raison d’être fier de vous car même si certains changements émergent du désordre et bien là, ce qui émerge, ce ne sont pas tout à fait les changements les plus souhaitables ! Avec le couteau suisse , le vrai, l’authentique, aucun risque de ce genre. Il est là, discrètement dans votre poche, inaccessible au turbulent. C’est vraiment pratique. En fin de séance vous ne perdez pas votre temps à ranger les outils dans la boite, il suffit de replier tranquillement les lames et de remettre l’engin dans votre poche. Impeccable ! Pour commencer, je vous présente le couteau à huit lames.
— Huit lames !
— Et oui ! La connotation positive, la prescription invariante, la reformulation, le recadrage, la restructuration des frontières, la métaphore, la sculpture familiale et la fameuse question circulaire. Ce couteau est d’une utilisation simple. Il demande un minimum d’apprentissage et permet de réussir de bonne thérapie. Surtout ne pas utiliser deux lames à la fois car risque de blessure.
— Et comment utiliser ce beau matériel ?
— C’est très simple, mais nous verrons ça tout à l’heure. Et maintenant si vous n’avez pas d’autres questions, je vais vous présenter la Rolls des couteaux Suisses pour thérapeutes familiaux. Le couteau suisse à vingt lames. La Rolls !
— Effectivement ! Effectivement ! Quelle merveille !
— Il présente les mêmes lames avec des améliorations considérables comme la question miracle, l’externalisation, etc. C’est un outil très tentant, mais à ne pas mettre dans toutes les mains. J’ai été témoin de dégâts importants en cas de confusion de lame, par exemple la question circulaire à la place de la question miracle quoique certains, dont je suis, pensent que la question circulaire est déjà un miracle et la question miracle permet de circuler.
— Je partage votre opinion sur ce sujet.
— Mais voilà une autre surprise : La pièce de collection, celle qu’on s’arrache dans les salons. J’ai nommé le fameux couteau sans lame ! C’est surtout un objet d’ornement, mais indispensable pour les superviseurs. Vous faites des supervisions, je suppose ?
— Oui, bien sûr. Tous ces instruments me semblent bigrement intéressants.
— Et voyez vous, Monsieur, chaque couteau est personnalisable. Je peux faire graver votre nom, vos initiales, le logo de votre centre ou un pseudonyme sur le manche.
— C’est une excellente idée. Au niveau du paiement, faites vous crédit ?
— Aucune inquiétude la maison offre toutes les facilités de paiement. En plus une petite ristourne de bienvenu pour les copains de Mariano Mariano ou un réduction pour les membres de la RATP. Ces deux avantages ne sont pas cumulables. Mais je ne pense pas que les membres de la RATP sont copains avec les copains de Mariano Mariano. Vous savez à notre époque chacun à tendance à rester dans son groupe d’appartenance, d’avoir besoin de transfert en miroir, de résonance en boucle. C’est comme les jeunes de banlieue…
— Vous êtes un homme perspicace !
— Maintenant, fini le bavardage et place à la pratique. Je vous offre une démonstration !
Le coutelier se tourne vers l’élégante vendeuse qui somnolait au fond du magasin et lui fait signe d’ouvrir la porte du fond. Aussitôt une musique entraînante retentit dans le magasin avec un refrain rappelant un dessin « abîmé » (A la file indienne,  indienne, indienne-ne…). Et voila que se présente tout une adorable petite famille : D’abord la mère tenant avec ses bras et au sein un nourrisson goulu et à l’autre main un petit au nez coulant trottinant tenant lui même à la main un nounours borgne et usé. Puis un adolescent boudeur traînant la savate, suivi de deux jumelles belles comme des orchidées. Un père de famille clôt la marche tout en murmurant : « Tout ça ne sert à rien… C’est la dernière fois que je viens… Je ne dirais rien… Je suis un bon père de famille… Laissez-moi rejoindre mes copains au café. J’ai pas eu le temps de jouer au Loto… »
— Voila la famille : la famille De La Dace. D’anciens petits nobles bretons maintenant ruinés et obligé d’aller habiter dans une banlieue, dans une cité.
Et voilà qu’un désordre indescriptible s’empare du magasin. Le bébé braille, l’adolescent s’assoit à coté de sa mère et pose la tête contre son épaule en disant « Maman à moi », tandis que le père joue au foot avec le nounours du petit qui se fait vertement tancé par ses deux sœurs jumelles « Tu fais exprès de faire pipi sur le siège, et la prochaine fois, on te donne une ratatouille spéciale ».
« Mon dieu, appelez moi un thérapeute capable rétablir l’ordre car une séance comme ça c’est impossible. Qui donc a dit que l’ordre surgissait du désordre ! » pense le thérapeute familial devant un tel foutoir tandis que sa cothérapeute, qui jusqu’à présent était restée silencieuse, lui dit : « Les malheureux, tu va voir si nous n’intervenons pas tout cela va finir par un placement familial »
— Une vrai pétaudière ! n’est-ce pas ? Et vous allez voir ce que peut le couteau suisse pour thérapeutes familiaux, le couteau à huit lames, par exemple.
Sitôt dit, sitôt fait, le coutelier ouvre la lame restructuration des frontières et en donne un coup dans le système familial.
— Incroyable !
— Je rêve !
— Pas possible !
— Mais si, mais si grâce au fameux couteau suisse pour thérapeutes familiaux !
En effet, la famille est maintenant parfaitement alignée en sous systèmes comme cela est décrit dans les admirables travaux de Minuchin. Le père et la mère se tiennent tranquilles l’un à coté de l’autre dans le sous-système parental et conjugal discutant raisonnablement de la hiérarchie et de l’autorité dans la famille. De l’autre coté de cette belle frontière, le sous-système adolescent rassemble les deux jumelles et l’adolescent. Mais on peut remarquer une sous-frontière subtile les séparant. C’est là une protection nécessaire à ces âges où la sexualité s’éveille. A coté, le sous-système « les petits » est bien délimité et présente une possibilité de communication avec le sous système parental, permettant à la mère de nourrir les enfants en y passant son sein ou une petite cuiller. Ainsi le repas familial tranquille et structurant pourra remplacer les gavages aux hamburgers et autres fast-foods postmodernes. Quelle différence avec le bazar antérieur ! chaque membre des sous systèmes semble calme, serein, tranquille et heureux d’être à sa place et dans son rôle.
— Je ne m’attendais pas à un résultat aussi rapide et important.
— Ah ! Monsieur le thérapeute, il ne faut pas sous estimer notre instrument ! Le fameux couteau suisse pour thérapeute familiaux ! Notre exclusivité !
— J’ai l’impression que les frontières sont trop serrées et cela risque de ne pas tenir… Peut être même de les étouffer, dit la cothérapeute, inquiète.
Visiblement, le coutelier n’avait aucune envie d’entendre ce genre de réflexion critique, mais en tant que bon vendeur il ne pouvait pas exprimer trop ouvertement son agacement. Aussi fallait-il trouver rapidement un dérivatif pour éviter la crise car il se rappelait encore avec douleur d’une de ses querelles avec un thérapeute qui l’avait traité de lacanoïde jungifié, le genre d’injure cruelle et gratuite qui frappe là où ça fait mal et dont on a du mal à se remettre.
— Avec une bonne question circulaire, je vais donner la bonne consistance aux frontières ni trop fermées, ni trop ouvertes. Ce n’est pas encore l’Europe !
Cette dernière phrase qui se voulait une plaisanterie subtile ne déclencha ni rire, ni sourire. Le thérapeute et la cothérapeute ne cachèrent pas leur irritation ; le coutelier eut honte de lui-même : il venait de dire une connerie. Un court instant il se sentit banni de la communauté humaine. Cependant comme c’était un excellent commercial, il repris le dessus.
— Avec une question circulaire, les choses vont se rétablir.
Il n’y avait plus aucune allusion métaphorique ou allégorique à l’Europe ou à autre chose et c’était aussi bien.
— Allez-y ! dirent d’une même voix le thérapeute et la cothérapeute (En fait ce n’était pas une seule voix, mais deux voix, une voix féminine et une voix masculine qui s’étaient synchronisées).
Le coutelier donna un autre coup de couteau suisse dans le système familial et de nouveau tout changea.
L’adolescent courrait en rond après les jumelles qui courraient elles-mêmes après lui sans le rattraper, les deux petits tournaient sur eux même comme sur un manège (« Les enfants adorent les questions circulaires dit avec orgueil le coutelier »). Le père debout devant la mère chantait « Tu me fais tourner la tête, mon manège à moi… ». Cette scène remarquable, qui n’était pas sans ressemblance avec des tableaux du début du XIXe siècle, dura un temps que personne ne pensa chronométrer, mais s’arrêta brusquement lorsque la mère hurla : « Mais arrêtez ! Arrêtez ! Je déteste tourner sur moi même, cela me donne mal au cœur ». A ce moment, le père et le fils aîné regardèrent avec haine le coutelier qui s’empressa de cacher le couteau suisse dans sa poche. On ne sait jamais; La bagarre allait-elle éclater ?
Non, car le père suivi de toute sa famille prit la direction de l’arrière boutique alors qu’une musique triste et moche accompagnait ce repli. Les deux jumelles tenaient les mains de leur mère et prenaient soin des petits derniers.
Et si le calme semblait revenu dans le magasin, c’était un calme relatif, pesant et précaire annociateur de la pire des catastrophes, car le père et le fils aîné, sans même le vouloir, par simple osmose identificatoire, avaient transmis au thérapeute et à sa cothérapeute leurs sentiments et émotions. Et il n’y a pas à s’étonner si ces deux-là regardaient avec une insistance haineuse et colère non feinte le coutelier. Evaluant les risques encourues comme pour se protéger celui-là s’était rapproché de sa jeune et jolie vendeuse. Servirait-elle de bouclier ?
Pendant quelques secondes, on pouvait craindre le pire. Et le coutelier regettait que le couteau suisse pour thérapeutes familiaux ne soit pas une arme de défense efficace car les équipes thérapeutiques, malgré les résonances et les aventures sexuelles entre thérapeutes de même sexe ou de sexe différent, ne sont pas des familles.
Mais comme tous ces gens étaient des gens civilisés, polis, courtois et socialement intégrés, tout s’apaisa assez rapidement.
Et ce fut un tranquille retour à l’hypocrisie mondaine.
— Cette démonstration était fort intéressante, mais nous voulons réfléchir un peu, dit le thérapeute.
— Naturellement… bien entendu… cela va de soi, et je vous laisse ma carte de visite avec mon email dessus, leur répondit le coutelier en les raccompagnant vers la porte.
Une fois les deux intrus hors de son magasin, le coutelier essuya son front et souffla : « Ouf ! Ouf ! Bon débarras Ils me pompaient ces deux là ! Ce sont des mauvais thérapeutes, j’en suis sûr » Il se tourna vers la vendeuse. Il ne savait pas encore qu’elle allait devenir sa maîtresse puis sa femme puis son ex-femme. Et que leurs relations conflictuelles les obligeraient à consulter un thérapeute familial, un vieux thérapeute familial n’utilisant pas le couteau suisse, mais traînant avec lui une vieille boite à outils thérapeutiques.
En la regardant, il plaça son index droit contre sa tempe droite et fit un mouvement de va et vient accompagné de ces paroles à l’adresse du thérapeute et de sa cothérapeute maintenant hors de vue :
— Toc, toc, toc…
 
 
Questions pour les étudiants en thérapie familiale
1. Quelle est la métaphore au centre de ce conte ? Est-elle bien choisie? Proposez deux autres métaphores.
2. Pensez vous que le coutelier est atteint de troubles obsessionnels compulsifs (TOC) ? Argumentez votre réponse.
3. Etes vous prêt à acheter un couteau suisse ? Pensez vous payer avec votre carte VISA ?
4. Quels sont les caractéristiques systèmiques de ce charmant conte ?
 
 
 
 
 
 



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